Mathieu Risacher's profile

Hervé Robin — Le Chocolat Bean-to-Bar

⌜  Le Chocolat 'Bean-to-Bar'  ⌝
⌞  Ou le savoir-faire chocolatier, de la fève à la tablette.  ⌟
De la fève à la tablette, une précision qui se doit d'exister, malgré sa lourdeur syntaxique, lorsqu'on évoque un véritable savoir-faire chocolatier.

◇  Mais pour quelles raisons ?
La question est légitime. Les rues de nos villes sont parées de devantures affichant les noms, parfois célèbres, de maîtres artisans chocolatiers et autres chocolatiers confiseurs.
Des titres qui ne laissent pas soupçonner l'insoupçonnable... Et pourtant !

Dans le monde, 98% des artisans chocolatiers utilisent comme ingrédient principal dans leurs confections, non pas la fève de cacao, mais du chocolat pré-fabriqué en quantités industrielles par une poignée d'entreprises dotées d'usines gargantuesques.

◇  Qu'ont décidé de faire les 2% restants ?
Simplement la même chose qu'un vigneron se souciant du terrain sur lequel pousse son raisin, des cépages cultivés, du respect des cultures et des êtres humains impliqués.
Leur chocolat est réalisé depuis la fève de cacao, une information qui paraît évidente mais qui n'est en rien anodine. Un choix qui implique entre autres choses, un travail méticuleux, une patience à toute épreuve, et un sincère lâcher-prise, puisqu'à l'instar des grands vins, ses arômes ne se révèlent jamais tout à fait de la même manière.
◇ ◇ ◇
Au fil des photos qui vont suivre se révèle le travail de Mathieu Robin, en charge de la transformation des fèves en tablettes pour la maison éponyme, créée par son père en 2013, à Périgueux.

Un déroulé chronologique des étapes de production, qui permet deux choses :
• Une explication de la méthode et de la philosophie bean-to-bar
• Une compréhension du rôle du chocolatier; plus précisément, comment la façon dont il s'approprie la méthode impacte le produit fini.

Plus qu'un reportage photographique, cet article est pensé comme une plongée dans l'univers de Mathieu et du cacao. 
Je le remercie d'avoir partagé avec moi sa passion pour l'essence du chocolat.
Je remercie aussi tous les membres de la maison Hervé Robin pour leur accueil chaleureux et leur vibrant goût du partage.

SOURCING

La première étape de cette transformation commence bien en amont de la fabrication en atelier et démarque d'emblée le chocolatier bean-to-bar de ses homologues conventionnels. Il s'agit du sourcing.

Elle consiste à dénicher des fèves de qualité provenant de fermes, de plantations, ou de coopératives ayant assuré la culture du cacaoyer, la récolte des cabosses, ainsi que quelques étapes de transformation dites "post-récoltes" (à savoir la fermentation et le séchage des fèves). Ces dernières sont cruciales pour la conservation des fèves et la qualité du chocolat in fine.

Le sourcing peut se faire en personne, ou via des intermédiaires spécialisés.
Dans le premier cas, le chocolatier se déplace dans les pays producteurs de cacao et part à la rencontre des agriculteurs et gérants de coopératives, afin de se familiariser avec les variétés et les pratiques culturales.
Dans le second cas, ce travail est délégué et le chocolatier se concentre uniquement sur l'échantillonnage.

C'est le cas de Mathieu, qui travaille de pair avec différents sourceurs chargés de lui procurer des lots de fèves qui correspondent à ses aspirations. Un profil aromatique particulier, une variété spécifique, un terroir sélectionné... Autant de critères qui font la diversité du cacao et du chocolat.
Mathieu se sert de ces lots pour réaliser des "tests batch", une très petite quantité de tablettes afin de se faire une idée précise du potentiel d'un cacao.

Lorsqu'un lot est validé, une commande est passée auprès du sourceur qui se charge généralement d'importer les fèves depuis le pays producteur jusqu'à l'atelier du chocolatier.
TRI DES FÈVES

La finesse du cacao et la confiance portée aux producteurs sont nécessaires, mais ne suffisent pas à la création de tablettes d'exception. La méthode bean-to-bar implique le respect d'un protocole précis si l'on souhaite atteindre un résultat satisfaisant. De la souplesse est possible dans la façon, une rigueur est nécessaire dans l'exécution. Une méthode rigoureuse par essence donc, mais Mathieu ne s'en contente pas. 

Dévoué à ses créations, il déplace le curseur de la rigueur jusqu'à l'exigence, et me dévoile sa quête infinie de la perfection. Non sans rappeler l'ikigai et la philosophie liée à l'artisanat Japonais, il me raconte comment l'exécution minutieuse de chaque geste renouvelle tous les jours chez lui un cycle vertueux. L'approfondissement d'une maîtrise, l'appréciation du résultat, créant un équilibre apaisant entre contrôle et détachement.
L'exigence donc socle de cet équilibre, vouée à la réalisation de chaque étape de transformation afin de permettre l'expression la plus pure du potentiel de la fève.

Ainsi commence le travail méticuleux de l'artisan.
Sorties des sacs, Mathieu trie les fèves à la main afin d'extraire d'éventuels intrants indésirables (fèves non matures, trop fermentées, débris etc...)
TORRÉFACTION

Une fois triées, les fèves sont torréfiées, c'est à dire lentement chauffées, asséchées sans être brûlées, afin de développer certains arômes et de révéler certaines saveurs.

Pour ce faire, Mathieu utilise un four et des plaques ajourées. Les fèves y sont disposées de sorte à favoriser une circulation homogène de la chaleur et une torréfaction uniforme sans avoir à les retourner. 

En fonction du profil aromatique recherché, chaque chocolatier bean-to-bar définit ses propres paramètres de torréfaction (durées & températures), qui diffèrent pour chaque lot de fèves, y compris si ces derniers proviennent d'une même plantation. 
En effet, les fluctuations des conditions culturales (précipitations, ensoleillement etc...) et des transformations post-récolte impactent la qualité des fèves. L'adaptation est donc de mise.

On parle de "profil de torréfaction" : plusieurs paliers de chauffe sont réalisés en un temps déterminé.

Là encore, l'exigence est de mise pour Mathieu. Plutôt que de se fier à des profils communs dont l'efficacité n'est plus à prouvée, il réalise de nombreux tests en amont de sa production afin d'atteindre un résultat faisant honneur aux spécificités de la fève. 
Des données précieuses, véritables secrets de fabrication, puisqu'elles font la "pâte" du chocolatier et suffisent parfois, aux palais les plus avertis, à reconnaître l'auteur d'une tablette.
En plus de révéler ses arômes, la torréfaction du cacao permet d'améliorer l'assimilabilité des fèves par notre corps et donc d'optimiser ses qualités nutritives, d'éliminer les bactéries résiduelles de la fermentation et du séchage, et de faciliter l'étape suivante du vannage.

La philosophie bean-to-bar prône une torréfaction douce et lente de la fève, permettant ainsi de préserver ses propriétés et ses nutriments.
Un contrepied affûté aux pratiques industrielles dominantes qui consistent tout bonnement à griller les fèves. Un raccourci facilitant leur transformation puisqu'il permet d'éviter l'étape du tri et d'uniformiser leur goût, que l'on viendra lisser à grand coup de sucre, beurre de cacao et autre arôme de vanille. Avez-vous déjà trouvé un chocolat noir "trop amer" ? La torréfaction est à blâmer, c'est le bon goût du grillé.

CONCASSAGE & VANNAGE

Une fois la torréfaction réalisée, les fèves sont refroidies avant d'être concassées et vannées.
Le vannage consiste à séparer la fève de son enveloppe, la cosse (à ne pas confondre avec la cabosse, qui correspond au fruit entier cueillis sur l'arbre).

Le concassage permet de réduire les fèves en éclats afin de faciliter leur broyage, on obtient alors du grué de cacao.
Une étape 2 en 1 : les fèves passent dans une vanneuse qui les concasse et sépare les cosses du grué par un souffle d'air.
Mathieu réalise trois passages de vanneuse pour chaque lot afin d'obtenir une plus grande finesse du grué et de réduire la présence de cosses dans ce dernier.
TRI DU GRUÉ

Avant d'être broyé dans le moulin, le grué est trié. Les derniers résidus de cosse sont retirés à la main afin de réduire au strict minimum la présence de fibres, venant altérer la texture et le goût du chocolat. 

Une opération minutieuse et si chronophage qu'elle témoigne à elle seule de la dévotion de l'artisan. Le temps passé par Mathieu à réaliser ce tri est en moyenne équivalent au temps nécessaire à la réalisation de toutes les autres étapes cumulées. Un investissement d'énergie hors-norme pour un résultat qui semble anecdotique à l'œil non avertis, mais qui se ressent bel et bien dans la pureté du produit fini. 
Une nouvelle expression de l'exigence du chocolatier Périgourdin. Ce sont dans les détails que se joue la différence entre l'excellence et l'exception.
CHARGEMENT DU MOULIN

L'étape fatidique durant laquelle le cacao devient chocolat.
Le grué est broyé et réduit en pâte, Mathieu utilise à cet effet un moulin à meules de pierre. 
Un choix éclairé puisque hybride entre pratique artisanale et semi-industrielle : il lui permet de traiter une quantité importante de cacao, tout en limitant l'intensité de la transformation. 

De plus, il joue aussi le rôle de conche, une machine présente dans la plupart des manufactures de chocolat. Son rôle est de brasser la pâte pendant 24 à 72h, principalement pour en homogénéiser la texture tout en éliminant certains composés aromatiques indésirables.  

Le gras contenu dans les fèves (en moyenne 50% de leur constitution), communément appelé beurre de cacao, est libéré sous l'action de la pression et de la friction exercées par les meules.
Le chargement se fait graduellement, kilo par kilo de grué afin de faciliter le travail du moulin.
Une poignée d'heures suffisent au moulin pour transformer cette masse rugueuse en une pâte visqueuse, indiquant à Mathieu qu'il est temps d'ajouter le second et dernier ingrédient de sa recette. Ici, la fève est reine et le sucre la seconde.

C'est un des principes phares de la méthode bean-to-bar : less is more.
Le chocolat à deux ingrédients fait son apparition à la fin des années 2000 et depuis, la liste d'ingrédients des chocolatiers conscients commence à s'amenuiser. L'ajout d'arômes, de lécithine ou de cacao en poudre est proscrit. 
Certains chocolatiers bean-to-bar conservent l'ajout de beurre de cacao dans leur recette. Mathieu préfère se contenter de ce que la fève lui offre, et adapte son processus en fonction. Le temps de brassage du moulin varie donc en fonction des lots, ce qui lui permet d'atteindre l'homogénéité recherchée.

Cette étape est souvent synonyme de démarcation dans le milieu du bean-to-bar puisqu'elle permet la recherche d'une texture signature, soyeuse, rugueuse, ou quelque part entre les deux. Mathieu a choisi son camp, celui de la finesse.

DÉCHARGEMENT DU MOULIN

Après 72h de fonctionnement, le sucre et le cacao coexistent de façon homogène et le profil aromatique du chocolat arbore des parfums complexes et des notes aromatiques subtiles.

Un test au grindomètre permet d'analyser la granulométrie de la pâte. 
L'objectif fixé par Mathieu : une réduction des particules au diamètre de 15 microns, synonyme d'une texture parfaite.

Le test est concluant, il est de temps de procéder au déchargement.
Dernières précautions avant que l'or brun ne s'écoule, un préchauffage du chinois (servant de dernier filtre) et du récipient afin d'éviter un choc thermique et une cristallisation précoce du beurre de cacao.
La pâte s'écoule avec lourdeur du moulin. Un flot continu se dessine, suspendu à la cuve, laissant le spectateur saliver d'impatience.
À partir de cet instant, le chocolat ne subira plus de traitement. Pour autant, il n’a pas encore terminé son processus de transformation. Conditionné en plaques de 3kg, il est conservé pendant plusieurs mois et entame un processus de maturation. 
Le chocolat va "travailler", ses arômes vont évoluer, allant parfois jusqu’à tromper l'artisan dans ses projections au moment de sa sortie pour la production.

C'est ici que la magie du chocolat bat son plein : malgré l'extrême finesse avec laquelle le cacao est traité, c'est à lui que revient le dernier mot sur les saveurs qu'il laissera percevoir.
Une leçon d'humilité que Mathieu accueille à bras ouverts à chaque exécution. Il me partage le plaisir qu’il éprouve parfois à se faire surprendre, redécouvrir les profils de certains cacaos, affiner sa compréhension de l’impact de ses décisions. Le travail de la fève est pour lui un apprentissage infini.

Le cacao transformé au moment de ce reportage est un Chuao, un nom bien connu chez les amateurs de grands cru. Il provient d'une plantation éponyme située au Venezuela. Plus qu’une variété, ce nom désigne un cépage, puisqu’il tient compte de caractéristiques génétiques et géographiques.

Une fois encore à l'instar du vin, les qualités d'un cacao sont évolutives et déterminées récoltes après récoltes, en prenant en compte un grand nombre de facteurs. Un pays d'origine ou une variété ne confèrent pas suffisamment d'information pour juger de la qualité d'un chocolat, tout comme un "vin de France" ou un Chardonnay n'indique rien sur la qualité d'un vin.

Les pratiques culturales, le climat, l'orientation d'une parcelle, l'altitude, la pluviométrie... Des dizaines de paramètres incontrôlables modifient subtilement les parfums de chaque récolte. Un challenge renouvelé pour le chocolatier, et une expérience gustative unique, propre à chaque tablette, pour qui à la chance de la déguster.
TEMPÉRAGE & MOULAGE

Des mois après leur réalisation vient le moment de sortir les plaques de la réserve pour les transformer en tablette. Une dernière étape est requise, le tempérage.

Il s’agit de faire fondre le chocolat en suivant une courbe de température spécifique, afin d’obtenir une cristallisation parfaite des cristaux de beurre de cacao.
Cette opération est réalisée par une tempéreuse et permet d'obtenir la densité caractéristique aux tablettes de chocolat, apportant une onctuosité parfaite en bouche, un aspect lisse, et le "snap" que l'on entend en cassant la tablette.
Un accessoire monté sur la machine permet de distribuer le chocolat en filets et de remplir uniformément les moules.
Un geste accompli avec dextérité, répété autant de fois que nécessaire pour réaliser les 450 tablettes du jour.
Les tablettes sont ensuite refroidies pendant quelques dizaines de minutes avant d'être démoulées puis soigneusement brossées, la touche finale qui permet de lisser les éventuels défauts de surface et de révéler la brillance du chocolat.
Ainsi s'achève la transformation du cacao en chocolat. Un long chemin parcouru entre les sols Vénézuéliens et l’atelier Périgourdin, entre la fève nue et le chocolat grand cru.

Un cycle de trois jours que répète Mathieu au fil des saisons, à la recherche de finesse, de nouveauté, de maîtrise, de subtilité.

Bien plus qu'une gourmandise ou qu'un plaisir coupable, Mathieu fabrique un chocolat redonnant une place centrale au cacao. Des tablettes qui encapsulent une synergie intense entre le travail de la nature et celui de quelques êtres humains.

Une expérience gustative à la hauteur du temps passé à sa création, que je vous invite à découvrir, et à redécouvrir en prenant le temps de la dégustation. 
Ces tablettes ne se croquent pas, elles s'apprécient. Ce chocolat ne se mâche pas, c'est en fondant qu'il révèle ses arômes. Une invitation à la lenteur comme porte d'accès à la saveur.
Mathieu Risacher
Crédits photos : Mathieu Risacher, Cacao Insights

Hervé Robin — Le Chocolat Bean-to-Bar
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Hervé Robin — Le Chocolat Bean-to-Bar

Réalisation de chocolat dit "Bean-to-bar", suivi du processus de transformation de la fève de cacao à la tablette. —— Bean-to-bar chocolate-makin Read More

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